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N° 28, année 2018 : Présentation du corpus élu cohen par Thierry Lamy




        Présentation du corpus élu cohen - 5




Commencée avec le numéro 24 du présent bulletin, nous poursuivons la présentation des principaux documents relatifs à l’Ordre des élus cohens, avec, pour ce numéro le manuscrit « Thory ».

V - MANUSCRIT THORY

Le manuscrit Thory[1] a fait l’objet d’une présentation succincte, ainsi que d’une publication partielle par Roger Dachez dans la revue Renaissance Traditionnelle, « Les premiers grades coëns. II. Documents complémentaires », RT 73-74 (janv.-avr. 1988) (p.78-106) II. Quelques documents sur les grades bleus coëns (p. 82-106) C. Un rituel de « Réception d’apprentif de l’Ordre des Elus-Coëns » (p. 104-106)

« … Sa provenance même n’est pas absolument certaine. Il s’agit d’un manuscrit de la main de Thory, conservé à la Bibliothèque nationale, avec quelques autres pièces relatives aux Elus-Coëns. C’est Robert Amadou qui, voici quelques années, attira l’attention des chercheurs sur cette source[2]. Thory, dans son Histoire de la Fondation du Grand Orient de France (Paris, 1812), avait publié et très succinctement commenté quelques extraits de ce texte, copié par ses soins sur un manuscrit ayant appartenu à Savalette de Langes… » écrit Roger Dachez, p. 104

Le manuscrit peut être décomposé en trois cahiers, paginés séparément et constitués comme suit (cf. fac-similés des premières pages et transcription intégrale donnés en annexe) :


Premier cahier :





Deuxième cahier :

Troisième cahier :
Pages 1 à 6 : Cérémonies à observer, avant de conférer les grades et avant de récompenser les travaux des FF.
Pages 7v° à 9 : Cérémonies à observer par les FF. visiteurs, et par les FF. qui se présentent au T., lorsque le travail est ouvert.
Pages 10 à 18 : Cérémonies à observer, avant d’admettre un prophane au grade d’apprentif.
Pages 1 à 18 : Cérémonies à observer par les officiers du temple des Elus Coëns.
Pages 19 à 22 : Batteries.
Pages 1 à 25 : Cérémonies de la réception d’apprentif de l’Ordre des Elus Coëns.
Pages 26 à 33 : Formule de réception de compagnon de l’Ordre des Elus Coëns.

Comme on le voit, le manuscrit BNF ignore les grades supérieurs à celui de « compagnon élu cohen ». Ont-ils été recopiés par Thory (alors, où ?). Ont-ils été égarés ou distraits du document BNF (où sont-ils alors) ?

Quant à l’auteur, il importe de noter que Claude-Antoine Thory est le premier auteur qui ait fixé une date quant aux débuts de l’Ordre instauré par Martines de Pasqually[3] :

« Anno 1754, Martinez Pasqualis compose le rite des Elus Coens et l’introduit dans quelques loges à Marseille, Toulouse, Bordeaux […]

Anno 1768, Martinez Pasqualis apporte à Paris le rite des Elus Coens et fait une assez grande quantité de prosélytes, néanmoins ce rite ne fut organisé dans quelques loges qu’en 1775. Il fixa l’attention des Maçons qui donnèrent aux loges du rite de Martinez le nom de loges Martinistes. (Acta Latomorum ou Histoire de la Franche-Maçonnerie Française et étrangère, Dufart, Paris, 1815, tome I, p. 68.) »

Ce qui nous semble intéressant au travers des pièces ici en cause, c’est la conception du cérémonial de réception aux grades d’apprenti et compagnon de l’Ordre des élus cohens (attention il ne s’agit pas d’apprentis-cohens, ni de compagnons-cohens, mais bien d’apprentis et compagnons symboliques). Nous les donnons in extenso en annexe au présent article. Il apparaît qu’ils sont conçus sur un même modèle (et sans doute aussi pour le maître symbolique de l’Ordre, ou maître-particulier). De fait retrouvera-t-on un ternaire comparable avec les grades, dès lors proprement-dits, d’apprenti, compagnon et maître cohens ; respectivement : fort-marqué, double fort-marqué et triple marqués fort-marqué, en raison du nombre des ordinations reçues en ces grades. Précisons ici, dans l’attente de revenir plus complètement sur cette importante notion de « marque », et ce dans un prochain article.

Dans l’Extrait de ce qui est contenu dans les grades des l’Ordre des E[lus] C[oëns], qui forme l’une des instructions du manuscrit Jirousek[4], on peut lire notamment (c’est moi qui souligne) :

- p. 16 : Apprentif coën ou fort marqué ;

- p. 18 : Compagnon coën ou double fort marqué ;

- p. 21, sans autre précision ici : M[aître] C[oën]

mais, plus loin, pages 22 et 23 à propos de ce grade, synthèse des deux précédents : « Le souverain appuie sur le front du candidat sa main droite en équerre, la paume de la main en dehors, les ongles sur la face et tendant contre terre ; ce qui le remet au rang des triples forts marqués. […] Après il impose sa main droite en équerre sur la tête du candidat, sans la toucher en continuant ainsi : Sois béni au nom de 8, et au nom de 8. Sois revêtu de puissance et mis au rang des triples forts marqués comme le furent ceux que le Grand Architecte de l’univers choisit par sa pure miséricorde pour délivrer son peuple de servitude par le ministère de Moïse. »

Ces « marques » ou « sceaux » (nous aurons l’occasion d’y revenir) étant ici à l’évidence à rapprocher de ceux qui marquent (déjà au livre de l’Exode et du Lévitique, pour les Pontifes d’Israël : cf. Ex 29, 20 et Lv 8, 12, 23-24) plus généralement les « élus de l’Éternel ». 

On rappellera à ce sujet qu’au sein du rite maçonnique propre à l’Ordre des élus cohens, la transmission des grades est concomitante d’ordinations qui sont conférées au récipiendaire.  


[1r°]                                                    Cérémonies
à observer, avant de conférer les
grades ;
et avant de récompenser les travaux
des FF

___________

Requête.

On aura soin de se conformer scrupuleusement à tout ce que les statuts généraux prescrivent, pour l’admission d’un profane et pour la récompense des travaux des prosélytes. Lorsqu’un frère de quelque grade qu’il puisse être, aura droit de prétendre à un grade supérieur au sien ; le Secrétaire du P[orche], si le F travaille dans le P[orche] ; ou le Secrétaire du T[emple], si le F travaille dans le T[emple] remettra an faveur du Postulant au Maître des cérémonies une requête signée [1v°] du conducteur en chef de la colonne où il travaille, et de tous les officiers principaux de cette même colonne ; c’est-à-dire, si le F travaille dans le P[orche], la requête sera signée du V. M. et de ses deux surveillants ; si, au contraire, le F est du T[emple], la Requête sera signée du R. M. et de ses deux surveillants, ainsi des autres.

Lecture
de la Requête.

Le Maître des cérémonies, le travail ouvert et les portes consignées, remettra au V. M. ou au R. M., suivant le grade du F, la requête en règle ; et le V. ou R. M. lira ou fera lire à haute voix la dite requête par le secrétaire du T[emple] ou du P[orche].

(Toutes les fois qu’un Secrétaire du T[emple] ou du P[orche] doit lire, il quitte sa place pour [2r°] aller se mettre au centre, entre le T[emple] et le P[orche], et après comme avant la lecture, il s’incline devant l’orient et l’occident et se retire).

La Requête lue, le V. ou R. M. ordonne au Maître des cérémonies de s’informer de tous les FF. assemblés, s’il n’y a aucune opposition à l’admission du proposé.

Si le R. ou V. M. veut faire lire la Requête, par le secrétaire de la colonne où le proposé travaille, il dit :

F secrétaire, faites la lecture de la Requête du F. N…… proposé aujourd’hui pour être admis au grade de …… et vous, F. vicaire, conduisez le F. N…… au Parvis ; vous le remettrez entre les mains des FF. gardes, qui répondront de lui.


Le Proposé
va au Parvis.

Tandis que le F. secrétaire va se placer par trois pas d’équerre entre le T[emple] et le P[orche] [2v°] pour exécuter les ordres qu’il a reçu, le F. vicaire conduit au Parvis le F. proposé qu’il remet entre les mains des deux FF. gardes qui y sont ; ensuite il vient reprendre sa place dans le T[emple] ou dans le P[orche], après s’être incliné devant les deux Trônes et devant le F. Trésorier du T[emple] ou du P[orche], qu’il prie d’aller au Parvis faire satisfaire par le candidat, aux intentions des statuts généraux.

Fonctions
du Trésorier.

Le F. Trésorier se lève, fait les inclinations ordinaires, s’en va au Parvis exécuter les ordres qu’il a reçu, donne une quittance de la somme qu’il touche, après quoi, il rentre dans le T[emple] ; il salue l’orient et l’occident, et il s’adresse au V. ou au R. M., pour rendre compte de sa mission et, après avoir repris sa place, il couche sur le Registre des Réceptions, les honoraires qui ont été déposés entre ses mains. [3r°] Le F. Secrétaire à l’instant salue l’orient et l’occident, fait lecture à haute voix de la Requête qu’il remet ensuite au V. ou au R. M. suivant le cas, et il va reprendre sa place par trois pas d’équerre, après le salut ordinaire.

Nota : Avant de remplir les préalables ci-dessus, la Requête d’un Postulant doit être communiquée et lue dans le T[emple] pendant trois assemblées consécutives et le consentement de tous les FF. reçu.

Formule
pour appointer une Requête.

Si la Requête est présentée au V. M., il l’appointe, en mettant au bas : Soit communiqué au Sanctuaire. Si elle est présentée au R. M., il mettra seulement : Soit montré au Secrétaire. Le Secrétaire a soin de registrer chaque fois ce qui se passe après la lecture des Requêtes pour pouvoir juger de la validité des voix.

[3v°]                                                       Manière
de présenter une Requête
au Souv : M

Le R. M. remet ensuite la Requête au Maître des cérémonies, qui va la présenter au Secrétaire général, en lui disant :

P. M. (s’il est Réaux ) ou, T. H. M. (s’il est Commandeur d’orient) le R. M. conducteur en chef du T[emple] vous envoie cette Requête, pour être communiquée au Souv M. afin qu’il lui plaise y faire droit ; il m’est enjoint d’attendre la réponse.

Le Maître des cérémonies faisant face à l’orient, reste devant la place du Secrétaire, qui va se présenter aux pieds du Trône du Souv :, à qui il dit :

T. P. M., j’ai reçu une Requête, de la part du T[emple] ou du P[orche], vous plaît-il que j’en fasse la lecture ? Ce que le Souv : M. accorde.


[4r°]                                                        Ordre
du Souv : M.

La lecture faite, le Souv : M. fait lancer un coup de foudre. Tout de suite le R. M. frappe un coup, qui lui est rendu à l’ordinaire. Ensuite tous les FF. se lèvent debout. Le Souv : M. dit :

Maître des cérémonies allez reprendre votre place ; je vais communiquer mes ordres.

Le Maître des cérémonies s’incline profondément et se retire par les pas d’équerre en arrière.

Le Souv : M. fait lancer un coup de foudre, après lequel il s’adresse au R. M., à qui il ordonne d’avertir le V. M., de s’informer sur ses colonnes, si tous les FF. consentent à l’admission du Postulant, et d’en faire de même sur ses Colonnes, tandis qu’il va prendre les mêmes informations dans le Sanctuaire.

[4v°]                                                    Exécution 
des ordres du Souv.

Le R. M. fait une profonde inclination à la manière accoutumée devant l’orient et l’occident ; puis il s’adresse au V. M. en ces termes :

V. M., informez-vous, sur vos colonnes, si tous les FF. donnent leur suffrage, pour l’admission au grade de…… en faveur du F. N……, tandis que je vais m’en informer sur les miennes.

Les R. et V. M. s’adressent chacun à leurs surveillants, pour qu’ils aient à s’informer sur leurs colonnes, si tous les frères donnent leur consentement.

Les questions faites, tous les FF. consentant se mettent à l’ordre ; les opposants portent en avant la main droite en équerre, la paume de la main contre terre. Le F. Inspecteur général fait sa ronde, pour voir si tous les FF. sont d’accord ; il reçoit à l’oreille, les raisons [5r°] des opposants ; et il va rendre compte au R. M. de ce qui se passe. Celui-ci, à son tour, en instruit le Souv : M.

On se conforme aux statuts généraux concernant les oppositions.

Observations.

Dans le cas où il se trouverait des oppositions légitimes, le P. M. mettra au bas de la Requête : Renvoyé à la première tenue. Il est enjoint à notre Inspecteur général de vérifier la légitimité des oppositions : ce qui sera lu à haute voix. Ensuite l’Inspecteur général ordonnera aux opposants de mettre par écrit, les raisons de leur opposition, qu’ils signeront, cachetteront et mettront dans la boite des morts, qui est placée dans le Parvis.

A l’assemblée suivante, l’Inspecteur général fera son rapport au V. ou au R. M., ensuite au Souv : M. Si les raisons d’opposition [5v°] sont légitimes et essentielles, le P. M. mettra au bas de la Requête : Renvoyé à notre V. M. conducteur en chef de la colonne d’occident, pour 1, 2, 3, 4, 5, ou 6 mois, plus ou moins, suivant le cas. Si les motifs des opposants sont vains ou illégitimes ; s’ils partent d’une animosité personnelle, le F. opposant sera nommé, et puni sans délai d’une amende pécuniaire pour le tronc des pauvres, ou exclu pour un temps des assemblées : La punition sera publiée pendant trois tenues consécutives. Il est enjoint aux conducteurs en chef de tenir la main à l’exécution des punitions, sous peine d’être punis eux-mêmes.

Admission.

La Requête, unanimement admise, il sera écrit en bas : Soit fait comme il est requis le…… du mois de…… année…… etc. et contre-signé, par mandement, par le Secrétaire général [6r°] du Sanctuaire.

Ces objets remplis le Souv : M. fait lancer un coup de foudre. Alors le R. M. frappe un coup, qui ne lui est point rendu. Il salue l’orient et l’occident suivant l’usage et dit :

V. M., le F. N…… est admis ; envoyez les FF. Thuileurs au Parvis, pour le disposer à sa Réception.

Ordre
du V : M.

Le V. M. fait une inclination et s’adresse au Maître des cérémonies, à qui il dit :

Prenez avec vous le Premier et le Second Thuileurs ; allez au Parvis où vous trouverez le F. N…… entre les mains des gardes, vous le ferez mettre en état de se présenter, pour recevoir le grade de…… que l’ordre juge à propos de lui conférer.

[6v°]                                                      Exécution
des
ordres du V. M.

Le Maître des cérémonies salue l’orient et l’occident ; il ordonne aux deux premiers Thuileurs de le suivre. Lorsqu’il est arrivé à la porte du Parvis, il frappe cinq coups et au sixième un des Frères gardes ouvre brusquement la porte, tenant son poignard en avant et portant la main gauche en forme de griffe aussi en avant, le pied droit en arrière du gauche formant un compas ouvert, la partie gauche de son corps bien effacée vers la porte. Dans cette attitude, il dit :

Que demandez-vous ; de quelle autorité venez-vous ici ?

Le Maître des cérémonies répond :

Je viens de la part de mon Maître et [7r°] du tien voyager dans ce bas lieu, pour le purger des Maçons prévaricateurs, s’il s’y en trouve.

Le F garde réplique :

Faites-vous connaître, donnez-moi la parole d’ordre ; et alors les portes vous seront ouvertes.

Le Maître des cérémonies obéit.

Cela fait, tous les Frères gardes se retirent et laissent le candidat à la disposition du Maître des cérémonies et des deux Thuileurs.

Congé
des Frères de
Grades-inférieurs.

Tandis que le Maître des cérémonies avec ses deux Thuileurs fait entrer le candidat dans la chambre de retraite, le V. M. ordonne au F. Vicaire de congédier tous les Frères qui ne peuvent point assister à la réception d’un [folio intercalé] grade Supérieur au leur : Tous ceux qui sont dans ce cas rendent la parole et défilent dans le Parvis ; ayant à leur tête le Frère Vicaire, et le dernier Thuileur à la queue, pour fermer la marche. Arrivés au Parvis, ils se dépouillent de leurs attributs, et ils se retirent où bon leur semble.

Toutes les cérémonies ci-détaillées s’observent avant la Réception de tous les grades ; et l’on a soin de ne jamais perdre de vue les statuts généraux.

…/…


Cet article a été publié dans son intégralité dans le Bulletin de la Société Martinès de Pasqually n° 28, année 2018, de la p. 5 à la p. 50.

[1] BNF, Ms. FM4 1051 et 1052.
[2] Note de Roger Dachez : R. Amadou. « Notes sur une source ignorée des rituels Coëns », Les Cahiers de la Tour Saint-Jacques, II, III, IV, 1960, pp. 187-189).
[3] Dans le tome II, page 362, Thory résume ainsi sa manière de considérer Martines de Pasqually :
« Paschalis ou Pasqualis (Martines), auteur du système connu sous le nom de Martinisme : il fut le Maître de Saint-Martin ; l’un et l’autre introduisirent les principes mystiques de ce système dans quelques loges 2du royaume. Les opinions de Martines furent repoussées par la Grande Loge de France, laquelle rejeta ce sectaire du sein des Loges de la constitution par un arrêté du 12 décembre 1765 (voir Registre des Délibérations de la Grande Loge de France (Ms). Séance du 16 novembre 1766 p.81).»
[4] Revoir la présentation de ce corpus dans le n° 25 du Bulletin (année 2015, pp. 158-168).
[5] Les transcriptions données ci-après conservent la présentation et l’orthographe originales ; seul le développement des abréviations a été fait, là où le sens ne s’imposait pas de lui-même au lecteur.